TROISIÈME CHAPITRE

LE REGARD POSÉ SUR JÉSUS : LA VOCATION DE LA FAMILLE

58. Face aux familles et au milieu d’elles, doit toujours et encore résonner la première annonce, qui constitue ce qui « est plus beau, plus grand, plus attirant et en même temps plus nécessaire » [50] et qui « doit être au centre de l’activité évangélisatrice ».[51]C’est le principal message « que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la catéchèse sous une forme ou une autre ».[52] Car « il n’y a rien de plus solide, de plus profond, de plus sûr, de plus consistant et de plus sage que cette annonce » et « toute la formation chrétienne est avant tout l’approfondissement du kérygme ».[53]

59. Notre enseignement sur le mariage et la famille ne peut cesser de s’inspirer et de se transfigurer à la lumière de ce message d’amour et de tendresse, pour ne pas devenir pure défense d’une doctrine froide et sans vie. Car le mystère de la famille chrétienne ne peut pas non plus se comprendre pleinement si ce n’est à la lumière de l’amour infini du Père manifesté dans le Christ qui s’est donné jusqu’au bout et qui est vivant parmi nous. C’est pourquoi je voudrais contempler le Christ vivant présent dans tant d’histoires d’amour, et invoquer le feu de l’Esprit sur toutes les familles du monde.

60. Dans ce cadre, ce bref chapitre recueille une synthèse de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille. Je citerai également ici divers apports présentés par les Pères synodaux dans leurs réflexions sur la lumière que nous offre la foi. Ils ont commencé par le regard de Jésus et ont indiqué qu’il « a regardé avec amour et tendresse les femmes et les hommes qu’il a rencontrés, en accompagnant leurs pas avec vérité, patience et miséricorde, tout en annonçant les exigences du Royaume de Dieu ».[54] De la même manière, le Seigneur nous accompagne aujourd’hui dans notre souci de vivre et de transmettre l’Évangile de la famille.

Jésus reprend et conduit à sa plénitude le projet divin

61. Face à ceux qui interdisaient le mariage, le Nouveau Testament enseigne que « tout ce que Dieu a créé est bon et aucun aliment n’est à proscrire » (1Tm 4, 4). Le mariage est un ‘‘don’’ du Seigneur (1 Co 7, 7). En même temps, grâce à cette évaluation positive, un accent fort est mis sur la protection de ce don divin : « Que le mariage soit honoré de tous et le lit nuptial sans souillure » (He 13, 4). Ce don de Dieu inclut la sexualité : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre » (1 Co 7, 5).

62. Les Pères synodaux ont rappelé que Jésus « se référant au dessein initial sur le couple humain, […] réaffirme l’union indissoluble entre l’homme et la femme, tout en disant qu’‘‘en raison de votre dureté de cœur, Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; mais dès l’origine il n’en fut pas ainsi’’ (Mt 19, 8). L’indissolubilité du mariage (‘‘Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer’’, Mt 19, 6), ne doit pas avant tout être comprise comme un “ joug” imposé aux hommes, mais bien plutôt comme un “don” fait aux personnes unies par le mariage. […]. La condescendance divine accompagne toujours le chemin de l’homme, par sa grâce elle guérit et transforme le cœur endurci en l’orientant vers son origine, à travers le chemin de la croix. Les Évangiles font clairement ressortir l’exemple de Jésus qui […] a annoncé le message concernant la signification du mariage comme plénitude de la révélation qui permet de retrouver le projet originel de Dieu (cf. Mt 19, 3) ».[55]

63. « Jésus, qui a réconcilié toutes choses en lui, a ramené le mariage et la famille à leur forme originelle (cf. Mc 10, 1-12). La famille et le mariage ont été rachetés par le Christ (cf. Ep 5, 21-32), restaurés à l’image de la Très Sainte Trinité, mystère d’où jaillit tout amour véritable. L’alliance sponsale, inaugurée dans la création et révélée dans l’histoire du salut, reçoit la pleine révélation de sa signification dans le Christ et dans son Église. Du Christ, à travers l’Église, le mariage et la famille reçoivent la grâce nécessaire pour témoigner de l’amour de Dieu et vivre la vie de communion. L’Évangile de la famille traverse l’histoire du monde depuis la création de l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 26-27) jusqu’à l’accomplissement du mystère de l’Alliance dans le Christ à la fin des siècles avec les noces de l’Agneau (cf. Ap 19, 9) ».[56]

64. « L’exemple de Jésus est un paradigme pour l’Église. Le Fils de Dieu est venu dans le monde au sein d’une famille […]. Il a inauguré sa vie publique sous le signe de Cana, accompli lors d’un banquet de noces (cf. Jn 2, 1-11) […]. Il a partagé des moments quotidiens d’amitié avec la famille de Lazare et de ses sœurs (cf. Lc 10, 38) et avec la famille de Pierre (cf. Mt 8, 14). Il a écouté les pleurs des parents pour leurs enfants, leur rendant la vie (cf. Mc 5, 41 ; Lc 7, 14-15) et manifestant ainsi la véritable signification de la miséricorde, qui implique la restauration de l’Alliance (cf. Jean-Paul II, Dives in misericordia, n. 4). Ceci ressort clairement des rencontres avec la samaritaine (cf. Jn 4, 1-30) et avec la femme adultère (cf. Jn 8, 1-11), chez qui la perception du péché se réveille face à l’amour gratuit de Jésus ».[57]

65. L’incarnation du Verbe dans une famille humaine, à Nazareth, touche par sa nouveauté l’histoire du monde. Nous avons besoin de plonger dans le mystère de la naissance de Jésus, dans le oui de Marie à l’annonce de l’ange, lorsque la Parole a été conçue dans son sein ; également dans le oui de Joseph, qui a donné à Jésus son nom et a pris en charge Marie ; dans la fête des bergers près de la crèche ; dans l’adoration des Mages ; dans la fuite en Égypte à travers laquelle Jésus participe à la douleur de son peuple exilé, persécuté et humilié ; dans l’attente religieuse de Zacharie et dans la joie qui accompagne la naissance de Jean le Baptiste ; dans la promesse accomplie pour Siméon et Anne au temple ; dans l’admiration des docteurs écoutant la sagesse de Jésus adolescent. Et ensuite, pénétrer les trente longues années où Jésus gagnait son pain en travaillant de ses mains, en murmurant la prière et la tradition croyante de son peuple et en étant éduqué dans la foi de ses parents, jusqu’à la faire fructifier dans le mystère du Royaume. C’est cela le mystère de la Nativité et le secret de Nazareth, plein de parfum familial ! C’est le mystère, qui a tant fasciné François d’Assise, Thérèse de l’Enfant-Jésus et Charles de Foucauld, où se désaltèrent aussi les familles chrétiennes pour renouveler leur espérance et leur joie.

66. « L’alliance d’amour et de fidélité, dont vit la Sainte Famille de Nazareth, illumine le principe qui donne forme à toute famille et la rend capable de mieux affronter les vicissitudes de la vie et de l’histoire. Sur cette base, toute famille, malgré sa faiblesse, peut devenir une lumière dans l’obscurité du monde.  ‘‘Une leçon de vie familiale. Que Nazareth nous enseigne ce qu’est la famille, sa communion d’amour, son austère et simple beauté, son caractère sacré et inviolable; apprenons de Nazareth comment la formation qu’on y reçoit est douce et irremplaçable; apprenons quel est son rôle primordial sur le plan social’’ (Paul VI, Discours prononcé à Nazareth, 5 janvier 1964) ».[58]

La famille dans les documents de l’Église

67. Le Concile Œcuménique Vatican II, dans la Constitution pastorale Gaudium et spes s’est occupé de la promotion de la dignité du mariage et de la famille (cf. nn. 47-52). « Il a qualifié le mariage de communauté de vie et d’amour (cf. n. 48), en plaçant l’amour au centre de la famille […] Le “véritable amour conjugal” (n. 49) implique le don réciproque de soi, inclut et intègre la dimension sexuelle et l’affectivité, en correspondant au dessein divin (cf. nn.48-49). De plus, Gaudium et spes n. 48 souligne l’enracinement des époux dans le Christ : le Christ Seigneur “vient à la rencontre des époux chrétiens dans le sacrement du mariage” et demeure avec eux. Dans l’incarnation, il assume l’amour humain, le purifie, le conduit à sa plénitude et donne aux époux, avec son Esprit, la capacité de le vivre en imprégnant toute leur vie de foi, d’espérance et de charité. De la sorte, les époux sont comme consacrés et, par une grâce spécifique, ils édifient le Corps du Christ et constituent une Église domestique (cf. Lumen gentiumn. 11). Aussi l’Église, pour comprendre pleinement son mystère, regarde-t-elle la famille humaine qui le manifeste d’une façon authentique ».[59]

68. Ensuite, « le bienheureux Paul VI, dans le sillage du Concile Vatican II, a approfondi la doctrine sur le mariage et sur la famille. En particulier, par l’Encyclique Humanae vitae, il a mis en lumière le lien intrinsèque entre l’amour conjugal et l’engendrement de la vie : ‘‘L’amour conjugal exige donc des époux une conscience de leur mission de “paternité responsable”, sur laquelle, à bon droit, on insiste tant aujourd’hui, et qui doit, elle aussi, être exactement comprise. […]. Un exercice responsable de la paternité implique donc que les conjoints reconnaissent pleinement leurs devoirs envers Dieu, envers eux-mêmes, envers la famille et envers la société, dans une juste hiérarchie des valeurs’’ (n. 10). Dans son Exhortation Apostolique Evangelii nuntiandi, Paul VI a mis en évidence le rapport entre la famille et l’Église ».[60]

69. « Saint Jean-Paul II a consacré à la famille une attention particulière à travers ses catéchèses sur l’amour humain, sa Lettre aux familles Gratissimam sane et surtout dans l’Exhortation Apostolique Familiaris consortio. Dans ces documents, ce Pape a qualifié la famille de “voie de l’Église” ; il a offert une vision d’ensemble sur la vocation à l’amour de l’homme et de la femme ; il a proposé les lignes fondamentales d’une pastorale de la famille et de la présence de la famille dans la société. En particulier, s’agissant de la charité conjugale (cf. Familiaris consortion. 13), il décrit la façon dont les époux, dans leur amour mutuel, reçoivent le don de l’Esprit du Christ et vivent leur appel à la sainteté ».[61]

70. « Benoît XVI, dans l’Encyclique Deus caritas est, a repris le thème de la vérité de l’amour entre homme et femme, qui ne s’éclaire pleinement qu’à la lumière de l’amour du Christ crucifié (cf. n. 2). Il y réaffirme que : “Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain ” (n. 11). Par ailleurs, dans son Encyclique Caritas in veritate, il met en évidence l’importance de l’amour comme principe de vie dans la société (cf. n. 44), lieu où s’apprend l’expérience du bien commun ».[62]

Le sacrement de mariage

71. « L’Écriture et la Tradition nous ouvrent l’accès à une connaissance de la Trinité qui se révèle sous des traits familiers. La famille est l’image de Dieu qui […] est communion de personnes. Lors du Baptême, la voix du Père désigne Jésus comme son Fils bien aimé et c’est l’Esprit Saint qu’il faut reconnaître dans cet amour, (cf. Mc 1, 10-11). Jésus, qui a réconcilié toutes choses en lui et qui a racheté l’homme du péché, n’a pas seulement ramené le mariage et la famille à leur forme originelle, mais il a aussi élevé le mariage au rang de signe sacramentel de son amour pour l’Église (cf. Mt 19, 1-12 ; Mc 10, 1-12 ; Ep 5, 21-32). C’est dans la famille humaine, réunie par le Christ, qu’est restituée ‘‘l’image et la ressemblance’’ de la Sainte Trinité (cf. Gn 1, 26), mystère d’où jaillit tout amour véritable. Par l’Église, le mariage et la famille reçoivent du Christ la grâce de l’Esprit Saint, pour témoigner de l’Évangile de l’amour de Dieu ».[63]

72. Le sacrement de mariage n’est pas une convention sociale, un rite vide ni le simple signe extérieur d’un engagement. Le sacrement est un don pour la sanctification et le salut des époux, car « s’appartenant l’un à l’autre, ils représentent réellement, par le signe sacramentel, le rapport du Christ à son Église. Les époux sont donc pour l’Église le rappel permanent de ce qui est advenu sur la croix. Ils sont l’un pour l’autre et pour leurs enfants des témoins du salut dont le sacrement les rend participants ».[64] Le mariage est une vocation, en tant qu’il constitue une réponse à l’appel spécifique à vivre l’amour conjugal comme signe imparfait de l’amour entre le Christ et l’Église. Par conséquent, la décision de se marier et de fonder une famille doit être le fruit d’un discernement vocationnel.

73. « Le don réciproque constitutif du mariage sacramentel est enraciné dans la grâce du baptême qui établit l’alliance fondamentale de chaque personne avec le Christ dans l’Église. Dans l’accueil réciproque et avec la grâce du Christ, les futurs époux se promettent un don total, une fidélité et une ouverture à la vie, ils reconnaissent comme éléments constitutifs du mariage les dons que Dieu leur offre, en prenant au sérieux leur engagement réciproque, en son nom et devant l’Église. Or, dans la foi, il est possible d’assumer les biens du mariage comme des engagements plus faciles à tenir grâce à l’aide de la grâce du sacrement […]. Par conséquent, le regard de l’Église se tourne vers les époux comme vers le cœur de la famille entière qui tourne à son tour son regard vers Jésus »[65]. Le sacrement n’est pas une ‘‘chose’’ ou une ‘‘force’’, car en réalité le Christ lui-même « ‘‘vient à la rencontre des époux chrétiens par le sacrement du mariage’’ (Gaudium et spes n. 48, § 2). Il reste avec eux, il leur donne la force de le suivre en prenant leur croix sur eux, de se relever après leurs chutes, de se pardonner mutuellement, de porter les uns les fardeaux des autres ».[66] Le mariage chrétien est un signe qui non seulement indique combien le Christ aime son Église à travers l’Alliance scellée sur la Croix, mais encore rend présent cet amour dans la communion des époux. En s’unissant pour être une seule chair, ils représentent les fiançailles du Fils de Dieu avec la nature humaine. C’est pourquoi « dans les joies de leur amour et de leur vie familiale il leur donne, dès ici-bas, un avant-goût du festin des noces de l’Agneau »[67]. Même si « l’analogie entre le couple mari-femme et celui Christ-Église » est une « analogie imparfaite »[68], elle invite à invoquer le Seigneur pour qu’il répande son propre amour dans les limites des relations conjugales.

74. L’union sexuelle, vécue de manière humaine et sanctifiée par le sacrement, est en retour un chemin de croissance dans la vie de grâce pour les époux. C’est le « mystère nuptial ».[69] La valeur de l’union des corps est exprimée dans les paroles de consentement, où ils se sont acceptés et se sont donnés l’un à l’autre pour partager toute la vie. Ces paroles donnent un sens à la sexualité, et la libèrent de toute ambiguïté. Mais en réalité, toute la vie en commun des époux, tout le réseau des relations qu’ils tissent entre eux, avec leurs enfants et avec le monde, tout cela est imprégné et fortifié par la grâce du sacrement qui jaillit du mystère de l’Incarnation et de la Pâque, où Dieu a exprimé tout son amour pour l’humanité et s’est uni intimement à elle. Ils ne seront jamais seuls, réduits à leurs propres forces pour affronter les défis qui se présentent. Ils sont appelés à répondre au don de Dieu par leur engagement, leur créativité, leur résistance et leur lutte quotidienne, mais ils pourront toujours invoquer l’Esprit Saint qui a consacré leur union, afin que la grâce reçue se manifeste sans cesse dans chaque situation nouvelle.

75. Selon la tradition latine de l’Église, dans le sacrement de mariage les ministres sont l’homme et la femme qui se marient.[70] Ceux-ci, en manifestant leur consentement et en l’exprimant par le don de leur corps, reçoivent un grand don. Leur consentement et l’union de leurs corps sont les instruments de l’action divine qui fait d’eux une seule chair. À travers le baptême a été consacrée leur capacité à s’unir dans le mariage comme ministres du Seigneur pour répondre à l’appel de Dieu. C’est pourquoi, lorsque les époux non chrétiens sont baptisés, il n’est pas nécessaire qu’ils renouvellent la promesse matrimoniale et il suffit qu’ils ne la rejettent pas, puisque par le baptême qu’ils reçoivent cette union devient automatiquement sacramentelle. Le droit canonique reconnaît également la validité de certains mariages qui sont célébrés sans un ministre ordonné.[71] Car l’ordre naturel a été pénétré par la rédemption de Jésus Christ, en sorte que « entre baptisés, il ne peut exister de contrat matrimonial valide qui ne soit, par le fait même, un sacrement ».[72] L’Église peut exiger le caractère public de l’acte, la présence de témoins et d’autres conditions qui ont varié au cours de l’histoire, mais cela n’enlève pas aux deux personnes qui se marient leur caractère de ministres du sacrement ni n’affaiblit le caractère central du consentement de l’homme et de la femme, qui est, en soi, ce par quoi le lien sacramentel est établi. De toute manière, nous avons besoin de réfléchir davantage sur l’action divine dans le rite nuptial, qui est bien mise en exergue dans les Églises Orientales, par l’accent placé sur l’importance de la bénédiction sur ceux qui contractent le mariage, en signe du don de l’Esprit.

Semences du Verbe et situations imparfaites

76. « L’Évangile de la famille nourrit également ces germes qui attendent encore de mûrir et doit prendre soin des arbres qui se sont desséchés et qui ont besoin de ne pas être négligés », [73] en sorte que, partageant le don du Christ dans le sacrement, ils « soient patiemment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de ce mystère dans leur vie ».[74]

77. En assumant l’enseignement biblique selon lequel tout a été créé par le Christ et pour le Christ (cf. Col 1, 16), les Pères synodaux ont rappelé que « l’ordre de la rédemption illumine et réalise celui de la création. Le mariage naturel se comprend donc pleinement à la lumière de son accomplissement sacramentel : ce n’est qu’en fixant le regard sur le Christ que l’on connaît à fond la vérité sur les rapports humains. ‘‘En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné […]. Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation’’ (Gaudium et spes, n. 22). Il apparaît particulièrement opportun de comprendre dans une optique christocentrique […] le bien des époux (bonum coniugum) »[75], qui inclut l’unité, l’ouverture à la vie, la fidélité et l’indissolubilité, ainsi que dans le mariage chrétien également l’aide mutuelle sur le chemin vers une amitié plus pleine avec le Seigneur. « Le discernement de la présence des semina Verbi dans les autres cultures (cf. Ad Gentes, n. 11) peut être appliqué aussi à la réalité conjugale et familiale. Outre le véritable mariage naturel, il existe des éléments positifs présents dans les formes matrimoniales d’autres traditions religieuses »,[76] même si les ombres ne manquent pas non plus. Nous pouvons dire que « quiconque voudrait fonder une famille qui enseigne aux enfants à se réjouir de chaque geste visant à vaincre le mal – une famille qui montre que l’Esprit est vivant et à l’œuvre – trouvera gratitude, appréciation et estime, quels que soient son peuple, sa religion ou sa région ».[77]

78. « Le regard du Christ, dont la lumière éclaire tout homme (cf. Jn 1, 9 ; Gaudium et spes, n. 22), inspire la pastorale de l’Église à l’égard des fidèles qui vivent en concubinage ou qui ont simplement contracté un mariage civil ou encore qui sont des divorcés remariés. Dans la perspective de la pédagogie divine, l’Église se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de façon imparfaite : elle invoque avec eux la grâce de la conversion, les encourage à accomplir le bien, à prendre soin l’un de l’autre avec amour et à se mettre au service de la communauté dans laquelle ils vivent et travaillent […]. Quand l’union atteint une stabilité visible à travers un lien public – et qu’elle est caractérisée par une profonde affection, par une responsabilité vis-à-vis des enfants, par la capacité de surmonter les épreuves – elle peut être considérée comme une occasion d’accompagner vers le sacrement du mariage, lorsque cela est possible ».[78]

79. « Face aux situations difficiles et aux familles blessées, il faut toujours rappeler un principe général : ‘‘Les pasteurs doivent savoir que, par amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations’’ (Familiaris consortio, n. 84). Le degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas et il peut exister des facteurs qui limitent la capacité de décision. C’est pourquoi, tout en exprimant clairement la doctrine, il faut éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations ; il est également nécessaire d’être attentif à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition ».[79]

La transmission de la vie et l’éducation des enfants

80. Le mariage est en premier lieu une « communauté profonde de vie et d’amour »[80] qui constitue un bien pour les époux eux-mêmes,[81] et la sexualité « est ordonnée à l’amour conjugal de l’homme et de la femme ».[82] C’est pourquoi, « les époux auxquels Dieu n’a pas donné d’avoir des enfants, peuvent néanmoins avoir une vie conjugale pleine de sens, humainement et chrétiennement ».[83] Cependant, cette union est ordonnée à la procréation « par sa nature même ».[84] En arrivant, l’enfant « ne vient pas de l’extérieur s’ajouter à l’amour mutuel des époux ; il surgit au cœur même de ce don mutuel, dont il est un fruit et un accomplissement ».[85] Il ne survient pas comme la fin d’un processus, mais plutôt il est présent dès le début de l’amour comme une caractéristique essentielle qui ne peut être niée sans mutiler l’amour même. Dès le départ, l’amour rejette toute tendance à s’enfermer sur lui-même, et s’ouvre à une fécondité qui le prolonge au-delà de sa propre existence. Donc, aucun acte génital des époux ne peut nier ce sens,[86] même si pour diverses raisons il ne peut pas toujours de fait engendrer une nouvelle vie.

81. L’enfant demande à naître de cet amour, et non de n’importe quelle manière, puisqu’il « n’est pas un dû, mais un don »,[87] qui est « le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents ».[88] Car « selon l’ordre de la création, l’amour conjugal entre un homme et une femme et la transmission de la vie sont ordonnés l’un à l’autre (cf. Gn 1, 27-28). De cette façon, le Créateur a voulu que l’homme et la femme participent à l’œuvre de sa création et il en a fait en même temps des instruments de son amour, leur confiant la responsabilité de l’avenir de l’humanité à travers la transmission de la vie humaine ».[89]

82. Les Pères synodaux ont souligné qu’« il n’est pas difficile de constater la diffusion d’une mentalité qui réduit l’engendrement de la vie à une variable du projet individuel ou de couple ».[90] L’enseignement de l’Église aide « à vivre d’une manière harmonieuse et consciente la communion entre les époux, sous toutes ses dimensions, y compris la responsabilité d’engendrer. Il faut redécouvrir le message de l’Encyclique Humanae vitae de Paul VI, qui souligne le besoin de respecter la dignité de la personne dans l’évaluation morale des méthodes de régulation des naissances […]. Le choix de l’adoption et de se voir confier un enfant exprime une fécondité particulière de l’expérience conjugale ».[91] Animée d’une particulière gratitude, l’Église  « soutient les familles qui accueillent, éduquent et entourent de leur affection les enfants en situation de handicap ».[92]

83. Dans ce contexte, je ne peux m’empêcher de dire que, si la famille est le sanctuaire de la vie, le lieu où la vie est engendrée et protégée, le fait qu’elle devient le lieu où la vie est niée et détruite constitue une contradiction déchirante. La valeur d’une vie humaine est si grande, et le droit à la vie de l’enfant innocent qui grandit dans le sein maternel est si inaliénable qu’on ne peut d’aucune manière envisager comme un droit sur son propre corps la possibilité de prendre des décisions concernant cette vie qui est une fin en elle-même et qui ne peut jamais être l’objet de domination de la part d’un autre être humain. La famille protège la vie à toutes ses étapes, y compris dès ses débuts. Voilà pourquoi « à ceux qui travaillent dans les structures de santé, on rappelle leur obligation morale à l’objection de conscience. De même, l’Église sent non seulement l’urgence d’affirmer le droit à la mort naturelle, en évitant l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie »,  mais aussi elle « rejette fermement la peine de mort ».[93]

84. Les Pères ont voulu aussi insister sur le fait que l’« un des défis fondamentaux auquel doivent faire face les familles d’aujourd’hui est à coup sûr celui de l’éducation, rendue plus exigeante et complexe en raison de la situation culturelle actuelle et de la grande influence des médias ».[94] « L’Église joue un rôle précieux de soutien aux familles, en partant de l’initiation chrétienne, à travers des communautés accueillantes ».[95] Mais il me semble très important de rappeler que l’éducation intégrale des enfants est à la fois un « grave devoir  » et un « droit primordial »[96] des parents. Cela ne constitue pas seulement une charge ou un poids, mais c’est aussi un droit essentiel et irremplaçable qu’ils sont appelés à défendre et dont personne ne devrait prétendre les priver. L’État offre un service éducatif de manière subsidiaire, en accompagnant la responsabilité que les parents ne sauraient déléguer ; ils ont le droit de pouvoir choisir librement le genre d’éducation – accessible et de qualité – qu’ils veulent donner à leurs enfants selon leurs convictions. L’école ne se substitue pas aux parents mais leur vient en aide. C’est un principe de base : « Toutes les autres personnes qui prennent part au processus éducatif ne peuvent agir qu’au nom des parents, avec leur consentement et même, dans une certaine mesure, parce qu’ils en ont été chargés par eux ».[97] Mais « une fracture s’est ouverte entre famille et société, entre famille et école, le pacte éducatif s’est aujourd’hui rompu et ainsi, l’alliance éducative de la société avec la famille est entrée en crise ».[98]

85. L’Église est appelée à collaborer, par une action pastorale adéquate, afin que les parents eux-mêmes puissent accomplir leur mission éducative. Elle doit toujours le faire en les aidant à valoriser leur propre fonction, et à reconnaître que ceux qui ont reçu le sacrement de mariage deviennent de vrais ministres éducatifs, car lorsqu’ils forment leurs enfants, ils édifient l’Église,[99] et en le faisant, ils acceptent une vocation que Dieu leur propose.[100]

La famille et l’Église

86. « C’est avec une joie intime et une profonde consolation que l’Église regarde les familles qui demeurent fidèles aux enseignements de l’Évangile, en les remerciant et en les encourageant pour le témoignage qu’elles offrent. En effet, elles rendent crédible la beauté du mariage indissoluble et fidèle pour toujours. C’est dans la famille, « que l’on pourrait appeler Église domestique » (Lumen gentium, n. 11), que mûrit la première expérience ecclésiale de la communion entre les personnes, où se reflète, par grâce, le mystère de la Sainte Trinité. ‘‘C’est ici que l’on apprend l’endurance et la joie du travail, l’amour fraternel, le pardon généreux, même réitéré, et surtout le culte divin par la prière et l’offrande de sa vie’’ (Catéchisme de l’Église Catholique, n. 1657) ».[101]

87. L’Église est une famille de familles, constamment enrichie par la vie de toutes les Églises domestiques. Par conséquent, « en vertu du sacrement du mariage, chaque famille devient à tous les effets un bien pour l’Église. Dans cette perspective, ce sera certainement un don précieux, pour l’Église d’aujourd’hui, de considérer également la réciprocité entre famille et Église : l’Église est un bien pour la famille, la famille est un bien pour l’Église. Il revient non seulement à la cellule familiale, mais à la communauté chrétienne tout entière de veiller au don sacramentel du Seigneur ».[102]

88. L’amour vécu dans les familles est une force constante pour la vie de l’Église. « L’objectif d’union du mariage est un rappel constant à faire grandir et à approfondir cet amour. Dans leur union d’amour, les époux expérimentent la beauté de la paternité et de la maternité ; ils partagent les projets et les difficultés, les désirs et les préoccupations ; ils apprennent à prendre soin l’un de l’autre et à se pardonner réciproquement. Dans cet amour, ils célèbrent leurs moments heureux et se soutiennent dans les passages difficiles de leur vie […]. La beauté du don réciproque et gratuit, la joie pour la vie qui naît et l’attention pleine d’amour de tous les membres, des plus petits aux plus âgés, sont quelques-uns des fruits qui confèrent au choix de la vocation familiale son caractère unique et irremplaçable »,[103] tant pour l’Église que pour la société tout entière.


[50] Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 35 : AAS 105 (2013), p. 1034.

[51] Ibid., 164 : AAS 105 (2013), p. 1088.

[52] Ibid.[53] Ibid., 165 : AAS 105 (2013), p. 1089.

[54] Relatio Synodi 2014, n. 12.

[55] Ibid., n. 14.

[56] Ibid., n. 16.

[57] Relatio finalis 2015,  n. 41.

[58] Ibid., n. 38.

[59] Relatio Synodi 2014, n. 17.

[60] Relatio finalis 2015,  n. 43.

[61] Relatio Synodi 2014, n. 18.

[62] Ibid., n. 19.

[63] Relatio finalis 2015,  n. 38.

[64] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 13 : AAS 74 (1982), p. 94.

[65] Relatio Synodi 2014, n. 21

[66] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1642.

[67] Ibid.

[68] Catéchèse  (6 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 7 mai 2015, p. 2.

[69] Léon le Grand, Epistula Rustico narbonensi episcopo, inquis. IV : PL 54, 1205A ; cf. Incmaro de Reims, Epist. 22 : PL 126, p. 142.

[70] Cf. Pie XII, Lettre enc. Mystici Corporis Christi (29 juin 1943) : AAS 35 (1943), p. 202 : « Matrimonio enim quo coniuges sibi invicem sunt ministri gratiae ».

[71] CfCode de Droit Canonique, cc. 1116 ; 1161-1165 ; Code des Canons des Églises Orientales, cc. 832 ; 848-852.

[72] Code de Droit Canonique, c. 1055 § 2.

[73] Relatio Synodi 2014, n. 23.

[74] Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 9 : AAS 74 (1982), p. 90.

[75] Relatio finalis 2015,  n. 47.

[76] Ibid.

[77] Homélie à l’occasion de la  Messe de clôture de la VIIIe Rencontre Mondiale des Familles à Philadelphie (27 septembre 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 8 octobre 2015, pp. 17-18.

[78] Relatio finalis 2015,  nn. 53-54.

[79] Ibid., n. 51.

[80] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 48.

[81] CfCode de Droit Canonique, c. 1055 § 1: « Ad bonum coniugum atque ad prolis generationem et educationem ordinatum ».

[82] Catéchisme de l’Église catholique, n. 2360.

[83] Ibid., n. 1654.

[84] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 48.

[85] Catéchisme de l’Église catholique, n. 2366.

[86] Cf. Paul VI, Lettre enc. Humanae vitae (25 juillet 1968), nn. 11-12 : AAS 60 (1968), pp. 488-489.

[87] Catéchisme de l’Église catholique, n. 2378.

[88] Congrégation pour la Doctrine de la foi, Instruction Donum vitae (22 février 1987), II, 8 : AAS 80 (1988), p. 97.

[89] Relatio finalis 2015,  n. 63.

[90] Relatio Synodi 2014, n. 57.

[91] Ibid., n. 58.

[92] Ibid., n. 57.

[93] Relatio finalis 2015,  n. 64.

[94] Relatio Synodi 2014, n. 60.

[95] Ibid., n. 61.

[96] Code de droit Canonique, c. 1136 ; cf. Code des Canons des Églises Orientales, c. 627.

[97] Conseil Pontifical pour la Famille, Vérité et signification de la sexualité humaine (8 décembre 1995), n. 23.

[98] Catéchèse (20 mai 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 21 mai 2015, p. 2.

[99] Cf. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), 38 : AAS 74 (1982), p. 129.

[100] Cf. Discours à l’Assemblée diocésaine de Rome (14 juin 2015) : L’Osservatore Romano, éd. en langue française, 25 juin 2015, pp. 13-14.

[101] Relatio Synodi 2014, n. 23.

[102] Relatio finalis 2015,  n. 52.

[103] Ibid., nn. 49-50.